La newsletter estivale ! Et comme on dit en tchèque c'est la “saison des concombres” donc on fait comme on peut !

Bilan Paris / Kigali
Ca fait très longtemps que je me dis que je dois écrire une newsletter, mais que je n'arrive pas à m'y mettre - j'ai l'impression de n'avoir rien à dire, et ça me met la pression de devoir trouver quelque chose (ou comment se mettre la pression dans une activité a priori agréable… difficile de se refaire, même quand on part à l'autre bout du monde).
Pour ne rien arranger, mon retour à Kigali après une semaine dans un Paris chaud et ensoleillé, où je me suis presque crue en vacances au bord de la mer, a été un peu difficile.
Au point où je me suis demandée ce que je fous là, surtout quand la météo ne tient pas ses promesses (en gros il fait plus froid qu'à Paris), et que j'ai laissé tous mes amis et ma famille en Europe.
J'ai donc dressé une liste des raisons pour lesquelles je voulais quitter Paris que je vous partage (sans aucune volonté de provocation) :
  • La météo pourrie - franchement il fait gris quasiment toute l'année sauf quand c'est la canicule (que moi j'ai trouvé agréable et que la plupart d'entre vous détestent, donc on passera :)
  • Les transports - je me souviens de quand je suis rentrée à Paris, en décembre dernier, et que j'ai pris le métro pour la première fois après deux mois. Je me souviens de mon choc. Je me suis prise comme une claque toute l'énergie négative présente dans le wagon, le stress des gens, l'impatience, le mécontentement, l'anxiété, la peur, la violence non exprimée, le côté paraître… Je me souviens m'être dit que les parisiens sont des héros - si quelqu'un arrive à prendre le métro tous les jours, à endurer tout ça pendant deux fois une heure et à rester sain d'esprit, il n'est rien moins qu'un héros. Moi je n'ai rien d'une héroïne, alors j'ai fui :)
  • Les horaires de travail ridiculement longs - je vous ai dit qu'ici on termine sa journée de travail à 17h et que ça ne choque personne ? D'accord, on commence à 8h mais le fait de finir tôt veut dire qu'on a une vie après le boulot. Il m'arrive même un truc de fou parfois - je m'ennuie ! En rentrant, je me rends compte que j'ai 5 ou 6 heures à tuer avant qu'il soit temps de me coucher - avec quoi les remplir ? Ce qui montre encore une fois à quel point c'est difficile de changer, parce qu'en vrai - pourquoi je devrais remplir les heures, au lieu de les vivre ? La nature et moi-même avons (encore) horreur du vide.
  • Les gens - beaucoup beaucoup beaucoup trop de gens; Paris est une ville surpeuplée et il y a trop de touristes. Rien que de penser qu'en septembre je vais devoir me taper le Louvre, le musée d'Orsay et le Centre Pompidou parce que Kenneth voudra y aller, je suis prise d'agoraphobie.
  • Le boulot, qui semble tant de fois déconnecté de la vie réelle - l'éternelle question du sens. Avouez, combien d'entre vous faites vraiment quelque chose qui a du sens pour vous ? On n'a pas forcément tous besoin de partir en Afrique pour s'occuper des orphelins mais c'est sans doute une question que tout le monde doit se poser tôt ou tard. Je n'ai pas fini de faire le tour de la question, mais je sais que je me sens mille fois mieux en aidant des boîtes qui font pousser des pommes de terre plutôt qu'en aidant GDF à lancer une nouvelle offre, ou même en aidant la Croix-Rouge à se réorganiser.

La deuxième liste que j'ai faite c'est celle où j'énumère tout ce qui m'énerve à Kigali (et elle commence malheureusement à s'allonger) :
  • Les soirées trop courtes - le soleil se couche tous les jours à 18h. En hiver, ça me dérange pas, mais en été, quand je sais qu'à Paris vous profitez de vos longues soirées d'été, ça m'énerve. Et puis, comme dirait mon père, ça a un côté très monotone - ça ne change pas, peu importe la saison. Pour quelqu'un qui déteste la routine comme moi, et qui aime la lumière, c'est un peu déprimant.
  • C'est quand même plutôt mort - je fais des paris avec moi-même pour savoir quand je vais commencer à m'ennuyer ferme, à force de faire toujours les mêmes activités (je deviens vraiment une pro du bowling), de manger toujours la même chose, et de voir toujours les mêmes gens, qui en plus ne sont pas encore des amis proches (et quand ils le sont, ils partent, petite pensée pour Guillaume).
  • L'insécurité financière - il a fallu que je me fasse un torticolis pour comprendre que contrairement à ce que j'ai envie de laisser paraître, ça me stresse de ne pas avoir un salaire stable qui tombe à la fin du mois. Je suis toujours dans le rouge, après 10 mois ici, je pompe toujours sur mes économies et même si je vais bientôt avoir deux nouveaux projets, c'est des projets pour quelques dizaines de jours et ça va à peine me permettre de combler le déficit. Je crois que c'est normal d'être inquiet à propos de ça, même si c'est un choix délibéré, mais j'ai mis du temps à l'admettre.
  • Les soins médicaux - mon torticolis m'a fait regretter amèrement la qualité des soins en France et surtout mon osthéo (petite pub ici pour Patrick Ghossoub - je vous recommande vraiment ce mec, il est capable de vous réparer des blocages de malade en une séance). Ici je me fais soigner par le médecin en chef du département de physiothérapie de l'hôpital King Faizal, un des meilleurs hôpitaux du pays et… après deux séances je peux enfin tourner la tête à gauche mais je sens une douleur du côté droit que je ne sentais pas avant, alors je ne sais pas. J'espère que ma colonne vertébrale va survivre à ces traitements à base d'ultra sons, d'électrodes et de je ne sais quoi d'autre.
  • Les services en général - il y a des trucs trop bien ici, genre le fait de pouvoir se faire faire des robes sur mesure pour pas cher, mais il y a d'autres services dont la qualité laisse à désirer. Comme le lundi dernier, où j'ai passé ma matinée à aller d'un café à l'autre en quête d'une connexion internet digne de ce nom, pour apprendre que tout le Rwanda était déconnecté à cause d'un cable international défaillant. Ou bien la semaine dernière ou quelqu'un a endommagé un gros tuyau d'eau qui approvisionne la moitié de la ville et qu'on n'avait pas d'eau pendant 5 jours. Au-delà du désagrément, ça a un vrai impact sur ma productivité !

Je voulais juste vous partager ce petit bilan après 10 mois ici pour vous montrer que rien n'est parfait. Je suis toujours heureuse d'avoir fait le choix que j'ai fait mais je n'ai pas envie de vous laisser croire qu'il n'y a pas de problèmes - ce n'est pas vrai, et ce n'est pas le but, je crois. Il me semble que le but est plutôt de réévaluer nos choix de temps à autre et d'en tirer des conséquences. Si un choix fait par le passé a des conséquences qui ne nous satisfont plus, pourquoi s'obstiner ? Alors peut-être que dans quelques années je vais revenir en Europe, qui sait ? ;)
Une petite lecture en kinyarwanda
Pour vous récompenser d'avoir lu ce pavé, je vous partage un petit texte en kinyarwanda, que j'ai réussi à déchiffrer et à traduire (avec de l'aide de ma prof lors de ma dernière leçon).
C'est un texte sur une dame qui s'appelle Mukandoli.
Mukandoli ni umubyeyi ufite abana 5 kandi ntafite umugabo.
Mukandoli est un parent qui a 5 enfants mais n'a pas de mari. (Vous remarquerez que le verbe ‘avoir’ est conjugué en “ufite”. Cette conjugaison est un peu un mystère pour moi, parce que normalement ce verbe-là se conjugue “afite” à la troisième personne du singulier, mais visiblement, quand on dit “qui a” dans une phrase, le “a” devient “u” - donc “afite” devient “ufite”. Alors qu'en temps normal, “ufite”, ça veut dire “tu as”. Et je n'ai pas encore mentionné que cette conjugaison n'est valable que pour les personnes. Si c'est une chèvre qui a quelque chose, ça devient “zifite”, parce que les chèvres et les être humains, c'est très différent !).
Abana be ni bakuru.
Ses enfants sont deux, petits. (La grammaire du kinyarwanda est fascinante. Ici par exemple, on a la forme “bakuru”, qui veut dire “enfants qui sont petits”, mais qui veut aussi dire “petit frère” ou “petite soeur” si vous avez le même sexe que le frère ou la soeur à laquelle vous vous référez. Si vous êtes un garçon et que vous n'avez que des soeurs, alors là il faut dire “bashiki”. Pareil si vous êtes une fille et que vous avez des frères. Et si par hasard vous êtes une fille et que vous avez une grande soeur, là il faut dire “marumuna”. Imaginez comment j'ai galéré quand ma prof m'a fait faire des phrases sur les frères de Kenneth (deux grands et trois petits). Je crois que j'y ai passé 10 minutes).
Mukandoli afite inzu nini n’umurima munini.
Mukandoli a une petite maison et un petit champs. (Vous le voyez le verbe avoir dans sa conjugaison normale ?)
Akunda guhinga cyane kuko ntafite akandi kazi.
Elle aime beaucoup cultiver parce qu'elle n'a pas d'autre travail. (Verbe avoir avec sa négation, “ntafite” :))
Ahinga ibijumba, ibirayi, n’ibishyimbo.
Elle cultive des patates douces, des pommes de terre et des haricots.
Abana be bakunda kurya umuceri n’ibirayi n’inyama.
Ses enfants aiment manger du riz, des pommes de terre et de la viande.
Ntibakunda kurya ibijumba kuko bafite ibijumba byinshi cyane mu murima wabo kandi mama wabo akunda guteka ibijumba.
Ils n'aiment pas manger les patates douces parce qu'ils ont beaucoup de patates douces dans leur champs et que leur mère aime cuisiner des patates douces. (“ibijumba” = “patates douces”, vous avez pigé ?)
Mukandoli afite imyaka 45 kandi arashaka umugabo.
Mukandoli a 45 ans et elle veut un mari.
Arashaka umugabo ufite amafaranga menshi kuko ashaka kugura inzu nziza cyane !
Elle veut un mari qui a beaucoup d'argent parce qu'elle veut acheter une très belle maison ! (Encore “afite” qui devient “ufite mais aussi "arashaka” qui devient “ashaka” et qui veut dire “elle veut”. On utilise la forme “arashaka” quand on veut dire qu'elle veut là maintenant au présent (un peu comme le present continous en anglais) et “ashaka” c'est quand elle veut tout le temps. Mais j'ai pas réussi à décrypter pourquoi ça change comme ça dans une seule phrase)
Bon je m'arrête là mais je crois que vous avez compris que ça ne ressemble vraiment à aucune langue indo-européenne…
Et en plus la grammaire est vraiment particulière. Par exemple, j'ai appris qu'il n'y avait pas de genre en kinyarwanda. Il y a juste 10 classes et c'est elles qui déterminent tout - la conjugaison des verbes, la forme des adjectifs, des possessifs, des chiffres (vous vous souvenez de la newsletter où je vous parlais des chiffres ?), etc. Pour vous donner un exemple : pour dire “je le connais” quand je me réfère à un endroit, on dit “ndahazi”. Mais si on veut dire “je le connais” en parlant d'un homme, par exemple, on doit dire “ndamazi”.
Quelques photos...
Et pour vous récompenser vraiment, je vous mets quelques photos ! Pêle-mêle entre le tour du Rwanda, les nouvelles robes que je fais faire et le festival Kigali Up.
Le magnifique tour du Rwanda
Le festival Kigali Up, blindé comme vous pouvez le voir
Le nouveau petit de la famille Inema - fait avec des fourchettes et des cuillères
Nouvelles tissus :)
Leatitia, qui va coudre mes robes (et qui parle un peu français, heureusement)
L'essayage d'une des robes
Guest star à la pendaison de crémaillère d'une amie
Et l'attaque, sur un pote rwandais qui a peur des chats
Expo à Bruxelles et séjour en Europe
Et sinon on sera en Europe avec Kenneth début septembre !
A Bruxelles et à Paris. Je ne garantis pas qu'on aura le temps de voir tout le monde à Paris, mais manifestez-vous si vous voulez nous voir - du 10 au 16 septembre :)
Et sinon, si vous êtes à Bruxelles, rendez-vous le 6 septembre au vernissage de l'expo de Kenneth ! Première exposition européenne ! Elle aura lieu dans la galerie Ben Artside, rue de rome 3c, jusqu'à novembre.
Bisous bisous !

Comments