Newsletter de printemps! (enfin pour vous, pour moi c'est le début de la saison des pluies :)

Visite parentale
Comme je vous disais la dernière fois, mes parents sont venus me rendre visite! C'était vraiment top de les avoir ici, même si j'ai pas pu prendre des vacances et que la semaine où ils étaient là était une des semaines les plus chargées que j'ai jamais eues ici.
Mais on a quand même profité, enfin surtout eux :
  • ils sont allés dans le sud du Rwanda, à Nyungwe, visiter la forêt tropicale : ils ont dormi dans une hutte sans fenêtres dans un lodge écolo, ce qui n'a pas trop plu à ma mère, ils ont fait une promenade de 4 heures dans la forêt, ils ont vu ce que c'était qu'une tempête tropicale et ont réalisé que c’est pas la meilleure météo pour une rando, et ils ont compris pourquoi c'était une très bonne idée de louer une voiture avec un chauffeur
  • ils sont ensuite allés à l'est, à Akagera, faire du safari : ils se sont levés à 4h du matin pour être là tôt, et malgré cela n'ont pas vu beaucoup d'animaux. Et mon père n'arrêtait pas de dire que Ngorongoro c’était mieux de toute façon… on ne peut pas tout avoir au Rwanda :))
  • ils se sont promenés à Kigali, enfin promenés… Mon père voulait absolument se promener au centre ville et j'ai eu du mal à lui expliquer que ça allait être difficile, parce que - c'est quoi le centre ville ici? C'est pas comme si on avait des places et des esplanades et des chemins piétons et des parcs et de jolis cafés avec des chaises dehors… Le soi-disant centre ville est juste un quartier de la ville, pas spécialement au centre d'ailleurs, et pas spécialement fait pour les piétons. Bref, mes parents ont quand même essayé et abandonné au bout de deux heures :D
  • Et puis on est partis tous ensemble passer le week-end à l'ouest du pays, au bord du lac Kivu, dans une petite ville qui s'appelle Kibuye. Et c'était un bonheur, je vous mets quelques photos :
La vue depuis notre fenêtre
La vue depuis notre fenêtre
Au loin, notre petite maison sur pilotis
Au loin, notre petite maison sur pilotis
La vue sur l'ensemble du ressort
La vue sur l'ensemble du ressort
La vue depuis la plantation de café qu'on a visité
La vue depuis la plantation de café qu'on a visité
Vous voyez le café au premier plan?
Vous voyez le café au premier plan?
La vue, sur le chemin du retour... ces collines sont juste incroyables!
La vue, sur le chemin du retour... ces collines sont juste incroyables!
Et mon père qui voulait acheter des fruits... enfin surtout interagir avec les locaux... :D
Et mon père qui voulait acheter des fruits... enfin surtout interagir avec les locaux... :D
Par contre, petite anecdote, qui m’a rappelé qu’il y a beaucoup de trucs qu’on considère comme acquis en Europe et qui, quand ils ne marchent pas, peuvent vraiment être problématiques. Genre: transferts bancaires.
Pour payer le lodge à Kibuye, j'ai fait un transfert depuis mon compte. Et par précaution, j'ai envoyé un mail leur demandant de me dire quand ils auront reçu le transfert. 5 jours après, toujours rien, je leur réécris. Et ils me répondent - ah non, l'argent n'est toujours pas arrivé, voici le numéro de notre banque, pourriez-vous les appeler pour voir où est le souci ? J'appelle, le banquier me demande de lui envoyer la preuve du transfert. Je contacte donc ma banquière (au passage, je bénis le fait qu'à travers Karisimbi, je peux avoir des conditions privilégiées avec ma banque et notamment une conseillère dédiée que je peux appeler presque H24), qui m'envoie la confirmation du transfert issue par la banque centrale, je me dis que tout va bien, l'autre banquier confirme que l'argent va arriver d'ici un jour.
On passe notre week-end tranquille. Jusqu'au dimanche matin, où mes parents veulent rendre la clé et que le réceptionniste leur fait “vous devez payer l'intégralité du prix des chambres, on n'a pas reçu le transfert”. Mon père m'appelle en panique, me demande comment on va faire, moi je suis passablement irritée, parce que je voulais profiter de ma dernière matinée au lodge tranquille. Je dis au réceptionniste qu'il a la preuve du transfert, et qu’il arrête de m'énerver. Mais il la joue sur les sentiments, il me dit que si je ne paye pas, il va avoir des problèmes, il appelle son banquier, qui ne sait pas vraiment quoi faire, il me dit d'appeler ma banquière (je rappelle qu'il est dimanche matin, et pourtant les deux prennent notre appel après la première sonnerie), qui me dit que la confirmation issue par la banque centrale prouve que le transfert est en cours. Là dessus mon père me fait “mais tu sais, si l'argent n'est pas sur son compte, on devrait payer, normalement la seule preuve acceptable c'est l'argent sur le compte”. Là je m'énerve vraiment, on est quand même dans un pays où un expat a été débité de 7000 dollars (!!!) au lieu de 7000 francs (7 euros) pour un dîner dans un restau près de Kigali, on est quand même dans un pays où un ami a été débité trois fois pour le même plat dans un autre restaurant, et où moi j'ai dû appeler un hôtel tous les jours pendant 2 semaines simplement pour qu'ils m'envoient la preuve de paiement dont j'avais besoin pour me faire rembourser ma TVA. Bref, sachant tout ça, je n’ai aucune envie de céder et je suis de plus en plus énervée, jusqu'à ce que Kenneth m'envoie dans la chambre en me disant qu'il prend le relais parce que je suis trop en colère pour régler quoique ce soit :) A la fin, le mec nous a laissé partir mais nous a fait signer un papier attestant que si l'argent n'arrive pas dans les 7 jours, on va devoir payer.
Mais le sketch ne s'est pas arrêté là - le réceptionniste m'a appelée lundi, en me disant que son banquier pense que l'argent n'était pas arrivé parce que c'était des dollars et que je les ai envoyés sur un compte en francs. Là, c'est un moment où j'ai commencé à douter de mon intelligence, mais un regard bref sur mon compte en ligne a suffit pour me prouver que c'était une connerie et que j'ai bien envoyé des francs sur un compte en francs. Sur ça, le réceptionniste m'a annoncé qu’il va devoir aller à la branche de sa banque, parce que son internet banking n'est peut-être pas à jour…
Pour finir, le manager de l'hôtel m'a appelée mardi en me disant qu'ils ont reçu l’argent et qu'ils sont désolés. Je ne sais toujours pas où était le problème et je doute qu'il y en avait un, en fait. Kenneth pense que le mec voulait juste tenter une magouille.
Voilà, c'est aussi ça les pays en voie de développement…
D'où venez-vous?
Ca fait longtemps que j'ai envie de partager quelque chose avec vous. Il y a quelque temps, une de mes connaissances m'a dit: “Ton copain est noir ? Ca me fait marrer de t'imaginer là bas, fille blonde, entourées de noirs.”
Je ne vais pas tellement commenter cette phrase. Je sais d'où elle vient. Je sais où est cette personne dans sa vie, dans sa réflexion, et j'arrive à comprendre comment elle a pu dire ça. Il y a des personnes qui ne sont pas exposées à la mixité, qu'elle soit raciale, sexuelle, religieuse ou autre, alors je me suis dit que je vais m'abstenir de juger même si ce genre de phrases m'énervent.
Mais ça m'a fait penser à quelque chose d'autre, quelque chose de plus profond et plus gênant à mon avis, et qu'on fait tous. A savoir : mettre des gens dans des cases.
Noir/blanche.
Africain/Européenne.
Rwandais/Tchèque.
Ougandais/Française.
Anglican/Catholique.
Artiste/Consultante.
Architecte/Editrice.
Vous commencez à voir comment cette liste sonne faux ? Comment ces cases sont multiples, comment elles se juxtaposent, comment elle s'opposent parfois, et surtout comment elles ne permettent pas du tout de définir qui on est vraiment ?
Je sais, vous ne pensez pas mal en le faisant, et on le fait tous parce que c'est plus simple. Moi la première. Encore récemment, je me suis surprise à demander à quelqu'un que je venais de rencontrer: “D'où viens-tu ?” Cette question me rassure, mais dans mon contexte, elle n'a pas tellement de sens. Qu'est-ce que ça m'a appris de savoir que la fille en question était née au Danemark ? Qu'au début de sa vie, elle s'est trouvée dans ce pays au nord de l'Europe. Qu'elle a probablement la nationalité danoise. Et c'est à peu près tout. Je ne sais ni si elle y a vécu par la suite, ni si elle parle la langue, ni si elle s'identifie à ce pays ou à une ville de ce pays, je ne sais pas quel est son vécu, je ne sais pas quelles expériences l'ont formée, je ne sais rien d'elle.
Alors je comprends qu'on doit commencer quelque part quand on fait connaissance d'une nouvelle personne. Mais que cherche-t-on à savoir exactement ? Que cherche-t-on à apprendre ? Ne devrait-on pas un peu modifier nos questions ?
On a chacun des identités multiples. Si vous commencez à me questionner avec cet état d'esprit, vous allez probablement me mettre dans la case la plus simple pour vous, par exemple: Tchèque. Tchèque, donc: elle vient de l'Est de l'Europe, elle est comme ci comme ça. Ah mince, elle est aussi Franco-Tchèque, donc: un de ses parents est français. Ah non, elle a été naturalisée: là l'image mentale va différer en fonction de la langue dans laquelle je vous parle, si c'est le français, vous allez probablement partir dans une tirade sur le fait que j'ai aucun accent et que c'est incroyable. Si je vous parle en anglais, vous allez vous faire une image tout à fait différente. Ah, elle a fait Sciences Po: autre image mentale liée à Sciences Po que vous avez dans votre tête. Ah, elle est consultante: donc elle fait un de ces métiers inutiles auquel personne ne comprend rien. Elle est catholique: donc de droite, donc plutôt contre l'avortement, contre le mariage pour tous, etc. Si je vous dis que je suis plutôt de gauche, que je suis pour le mariage pour tous, et que je n'ai pas d'avis arrêté sur l'avortement parce que j'estime que personne ne devrait dicter aux femmes ce qu'elles doivent faire avec leur corps, vous allez être confus, et vous allez vous dire “ah mince, féministe en plus ?”
Si vous en restez à ce genre de questions, vous ne saurez jamais rien de ce qui m'habite, de ce qui me motive, de ce qui est important pour moi dans cette vie. Vous ne comprendrez pas pourquoi je m'excite pendant la Journée des droits des femmes (merci pour la correction Julie :)), si vous ne savez pas ce qui m'a nourrie et ce qui me révolte; vous ne comprendrez pas pourquoi la foi est importante pour moi mais pourquoi j'ai une relation compliquée avec l'Eglise et les religions si vous ne connaissez pas l'histoire de mon adolescence; vous ne comprendrez pas pourquoi je veux vivre là où je vis si vous ne savez rien de ma quête de sens (et vous ne comprendrez pas non plus que je ne suis pas venue ici pour sauver le monde, mais tout au plus pour me sauver moi); vous ne comprendrez pas pourquoi je suis de gauche si vous ne savez pas que l'une des choses qui me révolte est l'inégalité; vous ne comprendrez pas pourquoi je fais toujours du conseil alors qu'à la base je voulais changer de métier à tout prix si vous ne connaissez pas mon histoire personnelle avec l'éducation et ma tendance au perfectionnisme.
Pour le comprendre, il faut aller au-delà de ma nationalité, au-delà de la couleur de ma peau, au-delà de mon appartenance religieuse, au-delà de tout un nombre d'étiquettes faciles à coller.
Donc, la prochaine fois que vous faites connaissance de quelqu'un, essayez de changer la question habituelle (de toute façon elle fait chier tout le monde cette question, non?). Demandez plutôt “Qu'est-ce qui t'anime dans la vie?” “Qu'est-ce qui te rend heureux ?” “Quelles sont tes valeurs ?” “Quels sont tes rêves ?” “Quels sont les projets sur lesquels tu travailles en ce moment, et qui te motivent ?” Ou bien, si vraiment vous voulez absolument cocher une case “géographie”, posez la question qui est posée dans cette vidéo que j'adore: “Où es-tu local ?” Et vous allez voir que les discussions que vous allez avoir avec les gens seront bien plus intéressantes (je vais essayer moi aussi :))
Taiye Selasi: Don't ask where I'm from, ask where I'm a local | TED Talk
Internet au Rwanda
Je vous ai promis un article plus détaillé sur l'internet au Rwanda, le voici!
Je ne sais pas si vous savez comment fonctionne internet. Moi je ne suis toujours pas sûre, après 5 mois de projet sur le sujet, mais ce que j'ai réussi à comprendre jusque là est assez intéressant.
Pour commencer, je pense que vous aviez en tête qu'une des composantes, ce sont des câbles autour du globe, et notamment des câbles sous-marins (que vous pouvez voir ci-dessous).
https://www.businessinsider.com/map-shows-extent-of-undersea-internet-cables-that-russians-could-cut-2017-12
https://www.businessinsider.com/map-shows-extent-of-undersea-internet-cables-that-russians-could-cut-2017-12
Ces câbles sont très importants pour pouvoir se connecter aux serveurs qui hébergent les données, et ça peut parfois être un challenge. Par exemple le Rwanda, qui n'a pas accès à la mer, dépend des câbles qui arrivent depuis la Tanzanie et le Kenya.
Ensuite vous avez les IXP, ou internet exchange points, qui permettent aux différents fournisseurs d'internet (FAI) d'échanger du traffic entre eux sans avoir à passer par ces câbles. Perso, je l'imagine un peu comme pour de l'électricité, qu'on échange sur des bourses et qui est ensuite physiquement redistribuée sur les réseaux de distribution en fonction du bilan d'échanges. Les IXP sont très importants parce qu'ils permettent de réduire le coût et d'améliorer la rapidité de la connexion (vu qu'on n'est pas obligé d'aller chercher l'information sur des serveurs qui sont loin et de la ramener par des câbles sous-marins). Le Rwanda n'a eu son IXP qu'en 2004, et dans certains pays africains, c'était beaucoup plus tard, par exemple celui de Dakar date de 2017.
Un autre truc un peu compliqué à comprendre, mais qui est en lien avec les IXP, c'est le local cache. En général, les grands fournisseurs de contenu sur internet - Facebook, Google, Netflix, etc - ont des fournisseurs de cache dans différents pays. Concrètement, ça veut dire que la première requête faite par un utilisateur (genre je cherche “cuisine” sur Google) passe par le câble de transit international (elle coûte donc cher, parce que le fournisseur doit acheter la capacité internationale). Mais ensuite cette information est stockée sur le cache local (un serveur qui est localisé dans le pays), et pour toutes les autres requêtes qui sont les mêmes, on va la chercher dans le cache (au lieu de la faire venir via le câble sous-marin). Là, vous pouvez vous dire “mais si je suis la deuxième personne de la journée à faire la même requête, je vais avoir accès à un résultat daté?” En fait non, ça se passe quasiment en temps réel, parce qu'il y a beaucoup de requêtes en même temps, donc vous allez avoir une information à jour, ou potentiellement vieille de quelques secondes. Ce qui est important, c'est que ça permet d'accélérer la connexion et de rendre internet moins cher. Et c'est aussi très bon pour un FAI de gagner l'appel d'offre pour le cache, parce qu'en général il y en a un par pays, et donc tous les autres fournisseurs doivent passer par lui s'ils veulent diminuer le coût d'accès à ces services pour leurs clients.
Toute cette intro pour vous dire, que malgré les avancées et toutes ces tentatives de rendre la connexion plus rapide et moins chère, l'internet au Rwanda en est encore à ses débuts. En 2013, le gouvernement rwandais a signé un deal avec la Corée, qui leur a permis de mettre en place la fibre et la 4G. Aujourd'hui, 95% du pays est couvert par la fibre et 94% par la 4G. Mais la joint-venture rwando-coréenne issue de ce contrat a l'exclusivité de l'exploitation de ces réseaux pour 25 ans, ce qui complique un peu la vie à d'autres fournisseurs. Il y en a 34 au Rwanda mais il n'y en a que 4 qui ont leur propre réseau (fibre), la plupart des autres sont juste des MVNO qui se content de revendre la connexion à un réseau tiers.
Il y a aujourd'hui autour de 5.5 millions d'utilisateurs d'internet au Rwanda, qui compte 13 millions d'habitants. Là où le bat blesse, c'est que 4.5 millions utilisent internet sous forme de 2.5G ou moins. Je ne sais pas si vous vous souvenez encore de ce que c'est mais en gros c'est comme si vous utilisiez internet sur vos vieux téléphones non-tactiles et non-intelligents, ou comme si vous essayiez d'utiliser internet sur vos smartphones quand vous n'avez qu'un réseau GPRS (au lieu de 3G ou 4G). Personnellement, je ne sais même pas si on peut appeler ça internet.
En ce qui concerne la fibre et la 4G, il n'y a que 5 000 utilisateurs dans tout le pays, ce qui représente moins d'1 % d'utilisateurs au total, autant dire rien du tout ! Il y a plusieurs raisons à ça, en premier lieu évidemment le pouvoir d'achat. Si vous voulez avoir la fibre à Kigali, vous avez le choix parmi 2 ou 3 fournisseurs si vous êtes un particulier, 6 si vous êtes une entreprise, et vous devez compter 70 eur par mois minimum. Clairement pas abordable pour une bonne partie de la population rwandaise - pour certains ça représente 100% de leur salaire, quand d'autres ne gagnent même pas autant. Une autre raison c'est qu'environ 95% de personnes utilisent internet uniquement sur leur téléphone, et le marché est donc dominé par les 2 opérateurs (Tigo/Airtel et MTN) et la plupart de ceux qui ont des smartphones consomment juste de la 3G, qui est largement suffisante ici.
Ca prendra donc encore un peu de temps avant que l'internet au Rwanda soit abordable pour la population… en général ça prend quelques années avant que le marché se stabilise et soit capable de proposer un service et des produits de qualité à des prix abordables. Rendez-vous donc dans… 10 ans ?
Et c'est tout pour la newsletter de printemps... A +!

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